Philippe Oddo à HEC : "Bâtir une finance indépendante et responsable"
Secouée par les crises économiques et réglementaires, challengée par un monde en mutation rapide, la finance européenne doit s’adapter pour rester compétitive. Face à ces défis, HEC Débats a reçu Philippe Oddo, banquier, entrepreneur et associé dirigeant du groupe familial Oddo BHF, pour partager sa vision d’une finance durable et ancrée dans les valeurs européennes.
Histoire du groupe Oddo
Philippe Oddo revient sur son parcours, débuté en 1984, à la tête de l’entreprise familiale. Guidé par les principes de « recruter les meilleurs talents » et d’investir dans les secteurs en difficulté, il cite l’acquisition stratégique de la banque allemande BHF comme un tournant majeur, illustrant la richesse de l’approche biculturelle. À l’aube de ses 65 ans, Philippe Oddo continue de se projeter avec une énergie intacte. Refusant de céder à la tentation d’un rachat ou d’une cession à un grand groupe, il maintient une vision profondément enracinée dans la stabilité familiale et l’innovation à long terme. "Beaucoup de gens sont venus nous voir pour nous acheter. Quand on m’invite à danser, je suis poli, je danse. Mais ce n’est pas mon schéma," déclare-t-il. Il mise sur un modèle mêlant gouvernance familiale et actionnariat salarié pour allier stabilité et innovation. Cette philosophie s’illustre dans une anecdote marquante de 2010. Face à une offre alléchante de Citigroup pour racheter Oddo, Philippe Oddo consulte son père, également actionnaire, qui lui pose une simple question : "Penses-tu que toi et ton équipe pouvez aller plus loin ?" La réponse, sans hésitation, est oui. Cette conviction demeure intacte aujourd’hui, nourrie par les succès et la résilience du groupe. En refusant de céder, il envoie un message fort : le potentiel du groupe est encore loin d’être atteint, et son ambition reste intacte.
Particularités d’une entreprise familiale non cotée
Oddo BHF est l’incarnation d’un modèle rare dans le paysage financier : une entreprise familiale non cotée qui mise sur la confiance, l’engagement de ses équipes, et l’innovation continue. Philippe Oddo est catégorique : « Nous ne serons jamais cotés en bourse. La stabilité et la confiance de nos clients passent avant tout. » Ce choix stratégique, guidé par une vision de long terme, permet au groupe de se concentrer sur ses priorités : répondre aux besoins de ses clients tout en maintenant une indépendance précieuse. Il s’agit pour lui de ne jamais oublier ses valeurs. Avec l’acquisition de BHF en 2016, le groupe Oddo favorise la construction financière européenne, et approfondit un couple franco-allemand que Philippe Oddo appelle de ses voeux. Loin de se reposer sur son héritage, Oddo BHF innove en investissant dans des solutions audacieuses. Un exemple notable est le développement d’une équipe technologique d’analyse financière en Tunisie, une décision qui allie optimisation des coûts et compétitivité. Ce choix stratégique illustre l’équilibre recherché par Philippe Oddo entre tradition et modernité : préserver l’essence du groupe tout en s’adaptant aux exigences d’un marché globalisé. Cependant, l’entrepreneur ne manque pas de critiquer les obstacles que rencontrent les acteurs financiers européens. « L’excès de régulations freine notre compétitivité face aux géants mondiaux, » déplore-t-il. Cette position reflète une inquiétude partagée par de nombreuses banques européennes, contraintes d’évoluer dans un cadre réglementaire rigide qui limite leur agilité.
Transformation et adaptation face à un monde instable
Philippe Oddo aborde la finance avec une philosophie claire : "Make everyday an opportunity." Convaincu que le changement est une opportunité plutôt qu’un risque, il souligne l’importance de s’adapter rapidement et d’apprendre de chaque évolution. Cette soif de connaissance et de réactivité est, selon lui, cruciale pour naviguer dans un environnement mondial complexe et instable. Il rejette l’idée que la finance moderne aggrave les inégalités, mettant en avant des innovations comme les prêts accessibles grâce au numérique. Sur le volet environnemental, il juge les critères ESG nécessaires mais insuffisants. Le groupe s’engage à mesurer les émissions de CO2 et à orienter 100 % de ses activités vers des investissements responsables. L’entreprise s’est engagée à travers un pacte de transition énergétique, qui comprend notamment la création d’un fond à impact en Afrique et la plantation de 50 millions d’arbres. Philippe Oddo défend aussi une finance éthique, expliquant : « Notre métier, c’est d’aider nos clients à rendre leur argent utile à la communauté. » Pour lui, le capitalisme est un levier à exploiter pour construire un avenir inclusif et durable.